De nouvelles bithérapies antibiotiques pour traiter la maladie de Lyme ?

Une nouvelle publication de l'équipe de Monica Embers (Tulane University, New Orleans, USA) donne des informations très stimulantes concernant le traitement du Lyme long/PTLDS[1]. Ce travail permet de consolider la notion que, pour venir à bout d'une bactérie difficile à éradiquer, une combinaison d'antibiotiques (ATB) a plus de chances d'être efficace que des ATB en monothérapie.

Cette idée est très ancienne. On sait que le traitement reconnu comme efficace de la tuberculose consiste en la combinaison de 3 ou 4 ATB administrés pendant 6 mois, afin de venir à bout de Mycobacterium tuberculosis (ou bacille de Koch). La rifampicine est un de ces ATB fréquemment utilisés contre la tuberculose. Cet ATB n'est pas bactéricide (il ne tue pas les bactéries) mais bactériostatique, il les empêche de se multiplier en bloquant l'ARN polymérase bactérienne.

C'est aussi une combinaison d'ATB qui permet de guérir la lèpre, due à l'infection par Mycobacterium leprae, un cousin proche du bacille de Koch. La trithérapie actuelle efficace contre la lèpre, c'est l'association de rifampicine, dapsone et clofazimine. Comme la rifampicine, la dapsone est bactériostatique, mais par un mécanisme différent (inhibition de la production d'acide folique, qui est nécessaire à la synthèse d'ADN). La dapsone est aussi anti-inflammatoire. La clofozamine est également bactériostatique et anti-inflammatoire.

Le travail de l'équipe de Monica Embers a été effectué dans un modèle murin, en suivant un protocole rigoureux et solide. Ils infectent chaque souris par injection sous-cutanée de 1 million de bactéries Borrelia. Ils laissent Borrelia se multiplier dans les souris pendant 2 mois, avant de traiter les souris pendant un mois. Ils attendent 2 mois pour voir si le traitement a permis une élimination complète ou partielle de Borrelia. Cinq mois après l'infection, ils effectuent un xénodiagnostic en posant sur les souris des tiques vierges, qui se gorgent de sang pendant 5 jours. D'éventuelles rares Borrelia restantes trouvent dans la tique un milieu très favorable à leur multiplication. La présence de Borrelia est alors recherchée par PCR (recherche de l'ADN de Borrelia), ou de RT-PCR (recherche d'ARN de Borrelia), ou après mise en culture pendant 5 semaines à 34° dans un milieu faiblement oxygéné (ce qui est le cas dans les tissus conjonctifs). La présence de spirochètes dans ces cultures est effectuée sous microscope, par immunofluorescence. Enfin les souris sont sacrifiées et l'analyse de différents tissus après nécropsie est effectuée avec les mêmes méthodes (PCR, RT-PCR et mise en culture).

L'ensemble de ce protocole est d'une robustesse que peu d'études parviennent à atteindre, même s'il est vrai que les groupes sont de taille limitée (5 souris/condition). Certains objecteront que ce qui est vrai chez la souris ne l'est pas forcément chez l'homme, ce qui est parfaitement exact. En revanche, l'idée qu'une combinaison d'ATB est plus efficace qu'une monothérapie a été amplement établie depuis 70 ans chez l'homme, pour la tuberculose. A ce stade, si on veut examiner quelle combinaison d'ATB est efficace contre Borrelia, il est parfaitement justifié de faire des essais d'abord chez la souris, pour en tester ensuite la validité chez l'homme.

L'alternative consiste à expérimenter directement chez l'homme, comme le fait Richard Horowitz qui, depuis des années, préconise, contre Borrelia, l'utilisation de la dapsone combinée à d'autres ATB, voire anti-parasitaires. Ses études portent souvent sur la description détaillée du suivi de 3 patients, traités avec des combinaisons de dapsone plus 5 ou 6 autres molécules (rifampicine + minocycline + disulfiram + plaquenil + leucovorine), dans des protocoles irreproductibles, sans contrôle[2].

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Il en va tout autrement de Monica Embers et ses collaborateurs, qui proposent 4 combinaisons gagnantes, de 2 ou 3 ATB. Concentrons-nous sur 2 d'entre elles.

La première est constituée de dapsone + rifampicine. Chacun des deux a un effet partiel en monothérapie, et la combinaison permet l'éradication de Borrelia, quel que soit le test utilisé pour le vérifier. Magnifique ! D'autant plus que cette même combinaison est, comme on l'a vu, utilisée dans le traitement de la lèpre, et que donc ce traitement peut être utilisé sans vérification supplémentaire de sa sûreté. A passage, on notera que le disulfiram, très prisé par Horowitz, n'a aucune efficacité anti-Borrelia dans le protocole Embers.

La 2e combinaison est constituée par l'association de doxycycline (bactériostatique) et de ceftriaxone (bactéricide, par inhibition de la synthèse de la paroi bactérienne). Ces ATB sont les grands classiques contre la maladie de Lyme, mais ils sont normalement utilisés séparément, et non pas en association. On aimerait, là encore, dire : magnifique ! Malheureusement, et c’est ici le seul point faible de ce très beau travail, l'étude ne montre pas, avec le même protocole, l'efficacité de chacun des deux ATB pris isolément, ce qui interdit de conclure que, dans cet essai murin in vivo, la combinaison serait plus efficace que les monothérapies.

On peut supposer que, dans ce protocole, les monothérapies étant déjà très efficaces, l'utilité de la combinaison ne pouvait être mise en évidence. Il eut été préférable de montrer et discuter un tel résultat. D'autant plus que d'autres études ont déjà montré que pris séparément, aucun des deux antibiotiques n'était capable de venir à bout de l'infection, chez la souris ou le singe. En outre, en supposant que dans ce protocole, la doxycyline était efficace seule, on sait bien que dans la réalité clinique humaine, pour une minorité de patients, la doxycycline ne suffit pas à éradiquer Borrelia, et qu'il y aurait un intérêt certain à remplacer une monothérapie par une bithérapie, peut être même en traitement systématique en cas d'érythème migrant.

A la réserve près qui vient d'être faite, le travail de l'équipe de Monica Embers est remarquable et devra être pris en compte à l'avenir, pour envisager l'utilisation de bithérapies dans le traitement de la maladie de Lyme.

 

[1] Alruwaili … Embers (2023). Superior efficacy of combination antibiotic therapy versus monotherapy in a mouse model of Lyme disease. Frontiers in Microbiology 14.

[2] Horowitz & Freeman (2022). Efficacy of Short-Term High Dose Pulsed Dapsone Combination Therapy in the Treatment of Chronic Lyme Disease/Post-Treatment Lyme Disease Syndrome (PTLDS) and Associated Co-Infections: A Report of Three Cases and Literature Review. Antibiotics (Basel) 11, 912. Horowitz & Freeman (2020). Efficacy of Double-Dose Dapsone Combination Therapy in the Treatment of Chronic Lyme Disease/Post-Treatment Lyme Disease Syndrome (PTLDS) and Associated Co-infections: A Report of Three Cases and Retrospective Chart Review. Antibiotics (Basel) 9, 725.