Communiqué de la FFMVT Réponse à l’éditorial intitulé « Un nécessaire questionnement éthique »

Réponse à l’éditorial intitulé « Un nécessaire questionnement éthique » publié dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire du 3 mai 2019.

 

Dans cet éditorial, le Professeur Jean-­‐Claude Desenclos, directeur scientifique de l’Agence Nationale de Santé Publique, également dénommée Santé Publique France, qualifie la reconnaissance de la forme chronique de la maladie de Lyme de « théorie alternative », une expression qui renvoie explicitement à la notion de « médecines alternatives ». Ce parallèle présente un caractère diffamatoire à l’encontre des médecins et chercheurs qui travaillent à la prise en charge et à la compréhension des formes complexes de cette pathologie. La FFMVT dénonce les qualificatifs de
« médecine alternative », ou de « prosélyte » utilisé par des académiciens (juillet 2018), et envisage la possibilité d’agir face à de tels propos, ainsi qu’elle l’a explicité au Ministère de la santé lors du comité de pilotage du Plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques du 21 septembre dernier.

Recourir à de tels termes n’est simplement pas acceptable, d’autant plus que la persistance des bactéries responsables de la maladie de Lyme, appelées Borrelia, est largement démontrée dans les publications scientifiques de qualité, même après plusieurs semaines, voire plusieurs mois de traitement antibiotique. On retrouve ici le déni savamment entretenu par une poignée d’infectiologues de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF), à l’heure où le Département de la Santé des USA (US Department of Health and Human Services) lance une alerte majeure, publiant un épais rapport sur le sujet (cf. infra). De plus, l’un des derniers éditoriaux de la revue Science annonce des mesures d’accompagnement importantes du NIH (National Institutes of Health) pour soutenir la recherche sur la forme chronique de la maladie.

Le Pr Desenclos rejette ici la reconnaissance du syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT), syndrome défini dès 2014 dans le rapport du Haut Conseil de la santé publique et intégré dans la Recommandation de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé (HAS) publiée en juin 2018. Ce syndrome, défini sur la base de la clinique, regroupe des personnes atteintes de formes persistantes de la maladie de Lyme, qu’elles soient positives ou négatives pour le test sérologique (Elisa, Western blot), avec la possibilité d’infections associées (co-­‐infections). Le SPPT est lui aussi qualifié par le Pr Desenclos de « théorie alternative » qui ne serait « pas acceptée par une grande partie de la communauté scientifique et médicale » internationale. Cependant, le SPPT est parfaitement décrit dans les publications scientifiques internationales sous la dénomination de
« post-­‐treatment  Lyme  disease  syndrome »  ou  PTLDS.  Ce  syndrome  correspond  aux  signes  et symptômes persistants que présentent d’innombrables malades ayant reçu un traitement antibiotique trop court pour éradiquer l'infection.

Le Pr Desenclos omet de citer le rapport du groupe de travail sur les maladies vectorielles à tiques (TBDWG) mis en place par le Département de la Santé des USA. Plusieurs rapports très complets, ayant revu toutes les publications scientifiques mondiales, ont été publiés en mai 2018 et une forme condensée du rapport destiné au Congrès des Etats-­‐Unis a été publiée le 14 novembre 2018. Ce rapport reconnait que la maladie de Lyme est en pleine expansion dans le monde, que les tests

diagnostiques basés sur la sérologie sont insuffisants, que les autres maladies vectorielles à tiques ne sont pas assez prises en compte, que les traitements n’ont pas été évalués correctement et qu’il n’y a pas eu de recherche véritablement significative dans ce domaine. Le rapport reconsidère le PTLDS, très proche du point de vue clinique du SPPT, en mentionnant, parmi les causes possibles de non régression des symptômes, la persistance des bactéries malgré un traitement préalable.

Comment ignorer aujourd’hui autant de données scientifiques publiées et référencées ? Une telle omission n’est plus une erreur, mais véritablement une faute ! Ce déni, extrêmement grave pour les malades, est directement responsable de l’errance diagnostique. Attribuer la cause de l’errance et de la souffrance des malades à une prise en charge « alternative » est absolument contraire à la réalité. En l’affirmant, Santé Publique France se met en position d’assumer la responsabilité de la désinformation sur la maladie de Lyme entretenue par le Centre National de Référence (CNR) des borrélioses de Strasbourg. En effet, c’est le directeur de Santé Publique France qui propose au Ministre de la santé la nomination des CNR et leur renouvellement. C’est aussi Santé Publique France qui évalue les CNR et participe pour partie à leur financement.

Comment parler de « dimension éthique » sans reconnaître aux patients le droit d’être acteurs de leur propre prise en charge, conformément aux règles de la démocratie sanitaire et aux droits les plus élémentaires des malades qui, dans le cas de toutes les autres maladies chroniques, sont écoutés et respectés. Or trop souvent les malades de Lyme, et/ou présentant un SPPT, sont traités de fous, de malades imaginaires et renvoyés vers la psychiatrie. Dès le début de l’épidémie de VIH/Sida, les malades ont été présents dans tous les processus de décision et de recherche concernant leur maladie et sa prise en charge, dans une démarche dont on a rétrospectivement mesuré tous les bienfaits.

Par ailleurs, l’éditorial du Pr Desenclos cite l’article d’Haddad et collaborateurs (Clin Infect Dis, 2018) de la Pitié-­‐Salpêtrière, étude dont la faiblesse méthodologique a été dénoncée par une réponse dans la même revue (Lacout et collaborateurs. Clin Infect Dis 2018). Dans cette « étude », des médecins, en suivant des critères non reconnus dans les publications scientifiques (les malades doivent se souvenir de la piqûre de tique, la sérologie doit obligatoirement être positive en Elisa et en Western blot pour avoir la maladie...) attribuent à leurs patients d’autres diagnostics (souvent non prouvés) ou envoient les malades en psychiatrie. Les rares malades reconnus par ces auteurs comme ayant la maladie de Lyme n’ont, pour la plupart, pas guéri du fait de traitements trop courts. Il faut souligner enfin qu’en raison des nombreux biais qu’elle comporte, cette étude a été réfutée et n’est pas prise en considération par la Haute Autorité de Santé.
Au vu de la situation actuelle et d’un nombre grandissant de malades en grande souffrance, plus aucune place n’est permise pour le déni, qui dans ce contexte constitue « une faute grave ». Aussi, compte-­‐tenu de l’ensemble de ces éléments, la FFMVT demande instamment au Pr Desenclos de retirer son texte, au profit d’un nouveau prenant en compte la réalité des données scientifiques actuelles telles que référencées dans le rapport du Département de la Santé des USA de novembre 2018.
FFMVT, 8 mai 2019