Découverte d'un antibiotique spécifique contre la maladie de Lyme

Points forts de l'article paru dans le numéro d'octobre 2021 de la revue Cell[1].

Les antibiotiques actuellement utilisés pour traiter la maladie de Lyme sont à large spectre. De tels antibiotiques comportent deux risques, celui d'endommager la flore intestinale et celui de sélectionner la résistance de bactéries non ciblées. L'équipe de Kim Lewis a réussi à identifier un composé agissant sélectivement contre Borrelia burgdorferi.

Elle a découvert que, in vitro, l'hygromycine A tue Borrelia à des concentrations où la plupart des autres bactéries (qu'elles soient pathogènes ou commensales) ne sont pas affectées. Dans des souris infectées par Borrelia, l'hygromycine A (par voie orale ou parentérale) permet d'éliminer Borrelia, tout en induisant une perturbation du microbiote de la souris bien moindre que celle provoquée par la doxycycline ou la ceftriaxone, classiquement utilisées dans le traitement d'une infection humaine par Borrelia.

La toxicité de l'hygromycine A dans ces souris traitées est indétectable, même à des doses plus de 2000 fois supérieures à la dose efficace contre Borrelia. Il n'y a pas non plus de toxicité détectable suite à l'ajout d'hygromycine A à des cultures de cellules humaines.

Toutefois, les auteurs soulignent eux-mêmes l'effort et le temps (sans doute un an) qui seront nécessaires avant de pouvoir envisager des essais cliniques thérapeutiques.

La phase préclinique indispensable devra inclure une étude pharmacocinétique détaillée, une évaluation pharmacodynamique, métabolique et toxicologique avant d’envisager le lancement des essais cliniques. Ces étapes sont incontournables. Tout traitement "sauvage" à l'hygromycine A est à proscrire. Quoi qu’il en soit, une étape majeure  vient certainement d'être franchie

 

L'hygromycine A est-elle une nouvelle molécule ?

Aucunement. Comme sa cousine, l'hygromycine B, l'hygromycine A est produite par une bactérie, Streptomyces hygroscopicus. Cette bactérie l'utilise vraisemblement dans son arsenal très fourni de lutte pour la survie que se livrent les différentes espèces de bactéries entre elles. L'hygromycine a été découverte dans les années 1950. Elle est parfois utilisée en médecine vétérinaire, et fréquemment dans les milieux de culture utilisés dans les laboratoire de recherche. Mais aucune des hygromycines n'est utilisée en thérapeutique humaine. A noter que, contrairement à l'hygromycine A, la B a une très faible toxicité pour Borrelia.

 

Quels sont les aspects remarquables de cette étude ?

La première hypothèse faite par Kim Lewis a été qu'il devrait exister un voire plusieurs antibiotiques produits par des bactéries, toxiques pour Borrelia mais pas pour d'autres bactéries. Son équipe a testé le surnageant de culture de plus de 400 souches d'actinomycètes (une famille de bactérie qui fabrique un grand nombre de molécules à activité antibiotique, c’est çà dire toxiques pour d'autres espèces de bactéries). Pour chacun de ces surnageants, ils ont comparé la toxicité vis-à-vis de 2 bactéries, Borrelia et le staphylocoque doré. Dans les extraits qui montraient une toxicité différentielle marquée, ils ont ensuite effectué une analyse (par spectrométrie de masse) pour identifier la molécule active responsable de cette toxicité différentielle. Ils ont identifié avec étonnement l'hygromycine A.

Ils ont alors entrepris un travail considérable pour tenter de comprendre l'origine de cette action spécifique contre Borrelia. Ils ont fini par établir que l'hygromycine A, en ciblant le ribosome bactérien, bloque la synthèse protéique et donc la vie même de la cellule. Mais le ribosome de Borrelia n'a rien de spécifique. La différence entre Borrelia et le staphylocoque (ou d'autres bactéries) est que l'hygromycine A ne parvient pas à entrer dans le staphylocoque, alors que Borrelia a dans sa membrane une molécule, un transporteur, BmpDEFG, qui provoque l'accumulation de l'hygromycine A dans la bactérie. Il est difficile d'imaginer une résistance de Borrelia à l'hygromycine A, car la molécule BmpDEFG est par ailleurs vitale pour Borrelia.

Ce transporteur est absent de la plupart des autres bactéries, sauf du Tréponème pâle (Treponema pallidum), un autre spirochète, responsable de la syphilis. Sans surprise, ce spirochète est efficacement tué par l'hygromycine A.

Des souris infectées par Borrelia ayant ingéré de la nourriture contenant de l'hygromycine A sont débarrassées de Borrelia sans modification majeure de leur flore intestinale. Cela permettrait d'éliminer Borrelia de zones où la maladie de Lyme est endémique. Des appâts contenant de la doxyxycline pourraient avoir le même effet, mais en entraînant, ce qui serait inacceptable, une augmentation de la résistance à cet antibiotique large spectre qui nous est très utile par ailleurs.

 

Quelle est l'expertise de l'équipe de Kim Lewis ?

L'équipe dirigée par Kim Lewis à Boston (NorthEastern University) a, depuis des années, publié des travaux de qualité exceptionnelle.

Un des sujets d'étude de l'équipe concerne les bactéries persistantes, ou dormantes, tolérantes aux antibiotiques. Ils ont identifié un certain nombre de gènes et de mécanismes responsables de cette persistance, qui concerne beaucoup de bactéries, y compris Borrelia.

Un autre sujet d'étude porte sur les bactéries non cultivées, très abondantes dans le sol notamment, mais réputées jusqu’à ce jour non cultivables en laboratoire. Ils ont développé une méthode générale pour faire croître ces organismes en les cultivant dans leur environnement naturel. Ils ont identifié des facteurs de croissance pour les bactéries non cultivées du microbiome humain. Enfin, ils utilisent des bactéries non cultivées comme source pour découvrir de nouveaux antibiotiques. Cette équipe a ainsi fait des découvertes majeures : de nouveaux antibiotiques actifs contre Borrelia[2]. Et d'autres antibiotiques actifs contre l'agent de la tuberculose[3], la maladie infectieuse qui tue le plus de personnes au monde actuellement.

La démarche qu'ils utilisent depuis plusieurs années est originale et extrêmement féconde.

 

Alain Trautmann

Pdt du Conseil Scientifique de la FFMVT